(03-12-2011 23:05 PM)buzzmansai a écrit : peut on apprendre à mourir, cela suppose aussi fondamentalement que l'on sait vivre...
si on parle de la mort, on ne peut pas ne pas évoquer la vie...
Apprendre à mourir non... apprendre à prendre le risque oui...
La mort, la plupart du temps, nous évitons d'y penser, nous faisons comme si il elle ne nous concernait pas. La première réponse que nous devons étudier correspond donc à la question est : ne faut-il pas vivre comme si on ne devait jamais mourir ?
Après tout, pensons-nous dans l’opinion, la mort, on aura tout le temps d’y penser quand elle sera là, en attendant, on n’a qu’à vivre et ne pas y penser ! Alors, autant faire "comme si" la mort n'existait pas, et vivre dans l'insouciance, ne songeant qu'à nos projets, nos plaisirs du moment, ou à nos plaisirs futurs.
Accepter la mort et faire son deuil...
Il y a cependant insouciance et insouciance. La forme la plus commune d’insouciance face à la mort consiste à feindre de l’ignorer, à l’esquiver, pour « faire comme si » elle n’existait pas, faire comme si nous devions rester des adolescent éternels, un peu comme dans ces images publicitaires de jeunesse, qui une fois enregistrées, sont éternelles. Soyons fiers de notre jeunesse, pour nous moquer de la mort et en laisser la pensée aux vieux et aux malades ! Comme le beau cow-boy d'une marque de cigarettes bien connue sur les publicités (au fait il est mort d’un cancer maintenant ?). un moment penser de cette manière. Qui pourrait consciemment prendre le parti de l’inconscience ?
De ce point de vue, on dira qu'il importe au plus haut point de ne pas faire de la mort une règle de vie, de rejeter sa pensée hors de notre vie, pour penser la vie et non la mort. Vivre comme si on ne devait jamais mourir, c'est regarder la Vie comme une continuité sans interruption, la vie ne disparaît de toute manière jamais, elle est portée de génération en génération. Chaque être humain vient au monde avec le legs de ses ancêtres et se doit de le transmettre aux générations à venir. Le père ne vit pas pour lui-même, mais pour ses enfants. La mort n'interrompt pas notre participation à l'humanité. C'est une idée qui est développée, pour qui l'existence n'est possible que dans le grand corps de l'Humanité. Nous vivons toujours dans le grand corps de l'humanité. La pensée de la mort doit rester au second plan devant une telle vérité. Mais toute cette argumentation n’est-elle pas une manière de recouvrir et de dissimuler la vérité ? N’est-ce pas une manière frauduleuse de se rassurer devant un fait que l’on refuse de regarder en face ?
L’opinion ne sait pas reconnaître l’importance de la mort. Le on qui s'exprime dans l’opinion banalise la mort et en reste à des platitudes du genre « On meurt bien un jour, mais en attendant on reste soi-même sain et sauf ». Ce on, c’est l’indéfini, vous moi, n’importe qui, de telle manière à ce que personne ne se sente véritablement interpellé. C’est le sujet de la banalité quotidienne, de la conscience commune. Qu’est-ce que la banalité quotidienne peut donc dire de la mort ? Qu’elle est une sorte « d’accident courant », qu’elle est un « événement ordinaire », ou dans certain cas un « événement dont on parle à la télévision et dans les journaux », quand il y a une catastrophe ou un accident. C’est donc une chose indéterminée, vague, qui ne manque pas d’arriver, mais qui, jusque là ne nous concerne pas en propre. C’est un événement "public" qui ne concerne que le on, pas moi. Autour du mourant on se rassure, on se rassure en banalisant l’événement de la mort. Il ne faut surtout pas que la mort nous réveille de notre « soucieuse insouciance ». Nous nous agitons tellement pour tisser notre vie de petites choses, qui nous occupent si entièrement, qu’il ne faudrait pas qu’on soit dé-rangé dans notre rangement bien ordinaire. On a pas le temps de penser à cela, on « est affairé par l’urgence de ses soucis ». La pensée de la mort, si nous devions la rencontrer, serait un réveil brutal dans notre sommeil de tous les jours. Ainsi, tacitement, l’opinion a adopté une attitude indifférente face à la mort et elle y parvient en réglementant ce qui est « convenable » face à la mort. Ce qu’on doit faire quand elle arrive, l’attitude conforme qu’on doit adopter. Ainsi quand toutes les paroles, tous les actes sont banalisés d’avance, il n’est plus rien d’étonnant dans le fait de la mort, nous sommes blindés contre tout dé-rangement. Nous entretenons une quiétude indifférente envers ce fait que je peux mourir, que les autres peuvent mourir, mon ami, ma femme, mon proche doivent mourir. L’opinion, n’acceptant pas la mort, la dissimule, mais avec une ruse remarquable, en feignant de la reconnaître sous le masque de l’indéfini. « La mort ? Ah oui, oui, on connaît. C’est bien connu, c’est banal » ! Mais le on ne se procure ainsi qu’un apaisement illusoire, qu’une apaisement au prix d’une aliénation de soi, car il s’aveugle à la réalité, cette réalité qui fait que tout ce qui naît doit aussi mourir.
On est toujours assez jeune pour mourir répond Heidegger à la morale de l’insouciance. Inauthentique est cette vie qui prend comme mode d’être « celui d’un échappatoire devant cette fin ». Le fait même de fuir la réalité ne fait que renforcer la peur de cela que l’on fuit. L’attitude de la fuite montre déjà qu’il y a une conscience de ce qui est fui. « Cette dérobade pourtant est le phénomène qui dénonce par cela même devant quoi on se dérobe, que la mort doit être conçue comme une possibilité certaine, absolument propre ». La méconnaissance de la mort falsifie la relation du sujet à son monde. Le déni donne en contrecoup à la rencontre de la mort une violence caractéristique. Elle l’installe dans l’illusion d’un « faire comme si » la mort n’existait pas. Elle fait paraître une vie fiévreuse dans ses soucis, profonde dans ses intérêts, tout en dissimulant la pauvreté de l’être, la pauvreté justement du Souci d’exister, la pauvreté de l’intérêt. Alors, on continue à mener une vie de bouffon, quand un jour la mort nous saute à la figure dans la maladie grave, la disparition d’un proche et c’est à ce moment là que brutalement il nous faut nous éveiller de notre soucieuse insouciance, de nos petites lâchetés et de nos fuites continuelles. De plus, nous passons notre existence à acquérir, à posséder d’avantage et la mort est terrible. Elle met en cause directement l’avidité de l’avoir. Nous sommes tellement soucieux avoir le nécessaire pour vivre. Et la mort est le plus grand escroc. Elle nous prend tout. Elle nous prend nos proches, elle nous prend cette vie que nous avions cru pouvoir posséder. Elle nous atteint directement dans notre identification à l’avoir et démasque brusquement le vide d’être. A celui dont le seul souci a été l’indifférence à l’essentiel et le souci de la banalité, la mort retourne une gifle cinglante. L’homme vient au monde nu, sans possession et il quitte le monde sans rien sans possession et tout ce qu’il aura pu acquérir dans sa vie ne lui servira jamais à rien pour rencontre authentiquement la mort. Bien au contraire. Que nous le voulions ou non, la reconnaissance de notre limitation par la mort est décisive pour notre compréhension et notre appréciation de la vie. « La mort est le fait le plus profond et le plus significatif de la vie, qui élève le dernier des mortels au-dessus de la quotidienneté et de la platitude. Elle seule pose la question du sens de la vie. En effet, celle-ci n’a de sens que parce que la mort existe ».
Accepter la mort encore une fois, c'est vivre deux fois, pour refaire son deuil.
J'aurai peut-être dû faire prof de philo, pour vivre à en mourir